La malherbologie tropicale, une science en herbe
Citation
CTA. 1987. La malherbologie tropicale, une science en herbe. Spore 12. CTA, Wageningen, The Netherlands.
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Abstract/Description
Favorisées par les nouvelles techniques culturales, les mauvaises herbes sont un fléau de plus en plus inquiétant. En dehors des herbicides qui présentent bien des inconvénients, on dispose encore de peu de moyens de lutte.Pour qualifier tout...
Notes
Favorisées par les nouvelles techniques culturales, les mauvaises herbes sont un fléau de plus en plus inquiétant. En dehors des herbicides qui présentent bien des inconvénients, on dispose encore de peu de moyens de lutte.
Pour qualifier tout ce qui pousse vite et bien, sans intervention de l'homme, on dit volontiers « ça pousse comme du chiendent! ». Chiendent au Nord, Striga ou herbe du Laos au Sud, les agriculteurs du monde entier peuvent le confirmer, les mauvaises herbes poussent toujours mieux que les bonnes. Mais, depuis une vingtaine d'années, les paysans africains ont de nouvelles raisons de s'en plaindre. Les changements intervenus dans les pratiques culturales ont, en effet, favorisé un inquiétant enherbement des terres cultivées.
Pour l'agriculture traditionnelle itinérante et extensive, les adventices n'apparaissent pas comme un fléau majeur. Certes, les champs sont parsemés d'une grande diversité de mauvaises herbes et même de ligneux. Mais la pratique très fréquente des associations de culture, qui permet une bonne couverture du sol, freine leur développement.
Les agriculteurs arrachent à la main les plantes trop envahissantes et pratiquent des sarclages en début de cycle. Ces tâches sont lourdes et contraignantes mais malgré tout supportables sur des exploitations qui ne dépassent généralement pas deux ou trois hectares. Lorsque, après quelques années de culture, les plantes indésirables deviennent trop envahissantes et que la fertilité du sol vient à baisser, les paysans n'essaient pas de lutter. Ils abandonnent la parcelle et défrichent un autre champ. Les longues années de jachère qui séparent deux mises en culture permettent alors un nettoyage de la flore adventice. Les espèces à cycle court -les plus gênantes pour les cultures- progressivement concurrencées par celles à cycle plus long, finissent par disparaître.
Sous l'effet conjugué de l'intensification des cultures et de l'introduction de la mécanisation, cette situation de relatif équilibre a beaucoup changé dans de nombreuses régions d'Afrique, en particulier dans la zone sahélienne. La raréfaction des terres agricoles et le coût élevé des défrichements nécessaires à la culture mécanisée ont freiné l'extension des surfaces cultivées. La jachère, de plus en plus courte, tend à disparaître. Parallèlement, le développement de la mécanisation a entraîné l'extension des exploitations : les surfaces moyennes atteignent 10 ha en culture attelée et 20 ha en petite motorisation.
Le résultat de ces évolutions ne s'est pas fait attendre : l'enherbement des parcelles s'est accru jusqu'à devenir le premier facteur limitant des rendements. Alors que la mécanisation permet de labourer de plus grandes superficies, elle entraîne un supplément d'entretien des cultures qui fait perdre une grande part des bénéfices que l'on pouvait en attendre. Les agriculteurs manquent de main d'oeuvre et de temps pour des sarclages qui, pour être efficaces, doivent être effectués dès la levée des premières adventices. Même mécanisé, le sarclage s'avère parfois difficile si les terres sont trop humides ou les lignes de semis mal tracées, ce qui est souvent le cas. Il faut donc compléter par un désherbage manuel au pied des plantes. Pris de court par un calendrier cultural très exigeant en début de saison, les paysans n'arrivent plus à juguler, en temps utile, la croissance des adventices.
Ces difficultés sont encore accentuées par les changements qui interviennent dans la flore adventice lorsque la jachère raccourcit ou disparaît. En effet, l'enherbement des champs augmente avec le nombre d'années de leur mise en culture. On passe . progressivement d'une grande variété d'espèces peu foisonnantes (50 à 60 semblables à celles des friches environnantes), à des espèces en nombre plus restreint (15 à 20) mais beaucoup plus envahissantes. Au bout de quelque temps, ce sont essentiellement de petites graminées à cycle court qui tapissent les champs. De surcroît, nombre de ces plantes sont favorisées par les engrais apportés sur les cultures.
L'intensification contrariée
Augmentation importante du temps de travail, diminution des rendements, baisse de qualité des productions, telles sont les principales conséquences de cet enherbement croissant. Cette situation contrarie fortement les efforts d'intensification entrepris par les Etats ACP. Les rares chiffres disponibles montrent que les pertes de production atteignent 30 à 40 % pour les parcelles mal désherbées. De plus, les graines de mauvaises herbes déprécient ou rendent les récoltes inutilisables. En Côte d'Ivoire, il suffit de six graines de la graminée Rottboellia cochinchinensis pour 400 g de riz pour que le lot soit impropre à un usage semencier.
Dans les zones humides, les mauvaises herbes sont encore plus exubérantes, surtout lorsque les jachères sont raccourcies. Toutefois, si le sol le permet, l'absence de jachère semble parfois préférable à une jachère de deux ans. Cela veut dire pour les femmes, principales responsables des cultures vivrières, un temps de plus en plus long passé à sarcler. Les plantations pérennes ne sont pas non plus à l'abri. Une lutte énergique est indispensable au cours des premières années, tant que les jeunes plants ne sont pas assez hauts pour émerger et se développer au dessus de la végétation concurrente.
Des mesures d'urgence
Confrontés à cet envahissement par les mauvaises herbes qu'ils n'avaient pas toujours prévu, les agronomes n'ont pu répondre, pour l'instant, que par des mesures d'urgence. L'emploi d'herbicides est ainsi apparu comme la seule technique qui puisse, dans l'immédiat, limiter les dégâts. Trouver d'autres moyens de lutte nécessite, en effet, des recherches de base sur les mauvaises herbes et sur les systèmes de production longues à mettre en oeuvre.
C'est sur la culture du coton, qui bénéficie depuis longtemps d'un fort encadrement, que les herbicides ont d'abord été utilisés. La mise au point de pulvérisateurs à Ultra Bas Volume (UBV ou ULV en anglais) a facilité la diffusion des traitements chimiques. Les paysans ont vite compris l'intérêt de ces produits. Un seul traitement herbicide au moment du semis, malgré son coût relativement élevé, permet un gain de production suffisant pour le rentabiliser. En plus de l'efficacité, l'allègement considérable du travail de désherbage que l'UBV permet est aussi un argument de poids pour sa rapide diffusion.
Aussi, les surfaces cotonnières désherbées chimiquement ont-elles progressé extrêmement rapide ment. Selon les calculs de l'Institut de Recherches sur le Coton et les fibres Textiles (IRCT), ces surfaces, qui ne représentaient que 35 ha en 1976, couvrent aujourd'hui 80.000 ha pour l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest ! La Côte d'Ivoire suivie du Mali, du Sénégal et du Cameroun sont les plus gros utilisateurs d'herbicides.
Depuis quelques années, les cultures vivrières, surtout le maïs et le riz pluvial mais aussi l'arachide, le mil et le sorgho, bénéficient de plus en plus souvent de cette méthode de désherbage. Cela correspond au désir des agriculteurs de faire profiter leurs autres cultures de ces procédés mais c'est aussi une nécessité technique. En effet, on ne peut se contenter de désherber une seule culture : les herbicides, produits très sélectifs, sont spécifiquement adaptés à chaque plante et, s'ils détruisent radicalement certaines mauvaises herbes, ils sont inopérants sur d'autres.
Ainsi, les herbicides employés sur le coton font disparaître les petites graminées mais d'autres plantes, profitant de la place laissée libre, deviennent à leur tour envahissantes. Celles-ci ne pourront être détruites que par les herbicides utilisés sur les céréales. Pour obtenir un désherbage correct, il faut donc varier les traitements et les cultures. Enfin, certaines plantes résistent à tous les produits connus et, en l'absence de concurrence, prolifèrent allègrement.
Efficaces, les herbicides ne sont pourtant pas ta panacée universelle. De plus, il sont encore hors de portée des agriculteurs qui ne sont pas encadrés. Leur emploi nécessite, en effet, une formation et un suivi assez rigoureux. Enfin, ils sont trop onéreux pour les paysans qui ne produisent que pour se nourrir ou dont la récolte ne se vend pas assez cher sur le marché pour justifier l'achat d'un intrant chimique importé.
Face à la pression souvent inquiétante des mauvaises herbes, la majorité des paysans n'a que ses mains pour les arracher ou la houe pour les sarcler. C'est pour eux que d'autres méthodes de lutte restent à trouver. Curieusement, malgré l'importance du problème et l'insuffisance des connaissances, les recherches sur les adventices sont encore limitées. On ne peut, par exemple, dresser une liste exhaustive des adventices d'Afrique de l'Ouest. Aussi, des études précises sur la biologie et l'écologie des adventices apparaissentelles comme urgentes, tout particulièrement sur les plantes considérées comme des fléaux par les agriculteurs qui n'ont aucun moyen de les combattre.
Les premiers pas de la recherche
Quelques-unes commencent à faire l'objet de programmes de recherche. Ainsi, un projet européen sur le striga, qui réunit la WRD (Weed Research Division) en Angleterre et le CIRAD (Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement)en France, étudie actuellement les relations hôte parasite. Ils espèrent trouver les moyens d'une lutte intégrée contre cette redoutable adventice qui cause de très graves dégâts en Afrique (on a relevé jusqu'à 70 de pertes en grain sur le sorgho au Soudan). Parfois, l'infestation est telle que les paysans sont obligés d'abandonner leurs champs. L'OUA et le CILSS s'en inquiètent et financent des programmes destinés à recueillir des informations sur les techniques de lutte à employer.
De même, l'herbe du Laos, Chromolaena odorata, dont l'impact économique et social est très important et qui a été longtemps négligée des chercheurs, devient un axe prioritaire pour de nombreux malherbologues.
Par ailleurs, des essais de lutte biologique avec des chenilles défoliatrices sont menés au Sri Lanka par le CIBC (Centre International de Contrôle Biologique). Cette herbe, venue d'Asie du Sud-Est, a été introduite malencontreusement en Afrique par des chercheurs. Elle est devenue aujourd'hui une véritable calamité pour les cultures vivrières où elle impose des sarclages supplémentaires et pour les plantations industrielles (café, cacao, bananes, hévéa) où l'emploi d'herbicides et de techniques culturales spécifiques est devenu obligatoire avant la mise en place des plantations. Enfin, dans les pâturages, particulièrement en République Centrafricaine, la prolifération de cette très mauvaise plante fourragère est telle que les satellites de télédétection peuvent en suivre la progression. Mais d'autres adventices malignes mériteraient l'attention des chercheurs. Ainsi, l'indestructible Commelina benghalensis ou Euphorbia heteraphylla qui envahit le centre et le centre ouest de la Côte d'Ivoire et qui résiste aux désherbants actuels, le tridax qui repousse même après les sarclages, ou encore Rottbel/ia cochinchinensis une graminée assez haute dont les graines se mêlent à celles du riz.
Des pratiques culturales adaptées peuvent limiter les dégâts. Ainsi, des associations de cultures performantes empêchent le développement des mauvaises herbes. En semant, par exemple, du niébé rampant 40 jours après le semis de maïs, le sol reste couvert jusqu'à la récolte. D'autres associations sont peut-être rentables, reste à les trouver. Un labour après la culture élimine les adventices et permet un semis rapide dès l'arrivée des pluies, avant la croissance des mauvaises herbes. Il faut pour cela disposer de variétés précoces qui se récoltent avant que les sols ne deviennent trop durs à travailler. Les plans de fumure aussi sont à ajuster pour ne pas favoriser les adventices dominantes, certaines répondant mieux que d'autres aux engrais.
Dans les régions plus humides, l'IITA (Institut International d'Agriculture Tropicale) préconise la mise en place d'un paillis vivant, c'està-dire la plantation d'une légumineuse de couverture qui est fauchée et étendue sur le sol avant un semis de maïs sans travail du sol. Il en résulte une forte diminution du stock de semences des adventices ainsi qu'une amélioration de la fertilité du sol.
La solution peut venir des plantes elles-mêmes si l'on trouve des variétés tolérantes aux adventices ! Des plantes vigoureuses à développement très rapide peuvent, par exemple, empêcher la croissance des mauvaises herbes. Pourquoi ne pas utiliser aussi les propriétés allé lopathiques de certaines plantes qui émettent des substances toxiques et dissuadent ainsi les adventices, ou du moins certaines d'entre elles, de s'installer à proximité ?
La lutte biologique est difficile à mettre en oeuvre mais elle n'est pas à négliger, surtout dans le cas de plantes très répandues et qui envahissent les zones non cultivées comme les forêts et les prairies. Les herbicides ont encore beaucoup à apporter. La découverte récente d'antidotes permettant d'augmenter leur sélectivité vis-à-vis d'une culture ouvre de nouvelles perspectives.
La recherche est encore balbutiante face à ce problème que lui a révélé le développement. Pour rattraper le retard, il est indispensable d'augmenter les moyens mis en oeuvre et de regrouper les compétences. Seules des études pluridisciplinaires, qui tiennent compte des considérations économiques et sociales, permettront de trouver des solutions réalistes au fléau grandissant de l'agriculture africaine.
BIBLIOGRAPHIE
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M-A Schmidt Leplaideur- Coton, l'empire du milieu- Inter Tropiques n° 07- L'herbe du Laos- Inter Tropiques n° 9- Un vampire vert nommé striga- Inter Tropiques n° 17.
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