Oser les eaux usées?
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Date Issued
2002Language
frType
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Keraita, Bernard. 2002. Oser les eaux usées?. Spore, Spore 101. CTA, Wageningen, The Netherlands
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Abstract/Description
L’eau douce de bonne qualité pour les usages domestiques et industriels fait l’objet d’une dure compétition. Dans ce contexte, l’utilisation des eaux usées pour l’agriculture permettrait de réserver les eaux de meilleure qualité
Notes
L’eau douce de bonne qualité pour les usages domestiques et industriels fait l’objet d’une dure compétition. Dans ce contexte, l’utilisation des eaux usées pour l’agriculture permettrait de réserver les eaux de meilleure qualité à ces autres secteurs. Les eaux usées contiennent ertainement des nutriments de valeur, mais elles sont aussi porteuses de risques sanitaires… Voyons cela de plus près.
Bien que généralement considérée comme inacceptable, l’irrigation à partir d’eaux usées est une pratique courante dans de nombreux pays ACP où les infrastructures sanitaires et de traitement des eaux sont peu développées et ne constituent pas une priorité. Un ingénieur hydraulicien en chef ghanéen m’a dit un jour : ' Donnons d’abord de l’eau potable saine à tous, nous penserons aux eaux usées ensuite '.
Dans le monde, 20 millions d’hectares sont irrigués par des eaux usées, sans compter les usages de saison sèche et les eaux usées diluées dans les rivières et les ruisseaux. Les eaux usées sont constituées de déchets liquides en suspension dans l’eau, mélangés aux eaux de surface et à celles des nappes phréatiques.
Les eaux usées sont principalement des résidus domestiques et industriels. En général, 80 à 85% des eaux utilisées sont ‘perdus’. Dans les villes et les cités ACP, les équipements sanitaires — quand ils existent — sont largement insuffisants pour la population. Je ne suis pas opposé au traitement des eaux — les technologies existent : elles vont des filtres les plus complexes aux filtres plus simples comme ceux qui utilisent les lentilles d’eau et les bassins de stabilisation — mais il suffit d’un coup d’œil sur la situation du Ghana et du Kenya pour comprendre que le traitement ne résoudra qu’une toute petite partie du problème. C’est un travail de longue haleine.
Agir ou disparaître
En 1995, à Accra, Ghana, les autorités locales ont promulgué un Arrêté interdisant l’utilisation des eaux usées non traitées pour l’irrigation, mais aujourd’hui, sept ans plus tard, les agriculteurs les utilisent toujours. C’est une question de survie : je connais les risques liés à l’utilisation des eaux usées mais je ne peux pas les éviter.
Utiliser les eaux usées présente des avantages, liés notamment à leur forte teneur en nutriments, qui réduit les besoins et les coûts des engrais. Par conséquent, de nombreux agriculteurs qui les utilisent s’en sortent mieux et peuvent même créer des emplois. De plus, il s’agit souvent de petits paysans pauvres, vivant aux abords des villes, et si nous voulons lutter contre la pauvreté, c’est vraiment de ce groupe que nous devons nous occuper. S’il n’y a pas d’autres sources d’eau — ce qui est le cas le plus fréquent —, nous devons trouver des stratégies pour réduire l’impact négatif de l’utilisation des eaux non traitées, car ces pratiques ne cesseront pas.
La principale contrainte est l’image négative de santé publique liée aux éléments contaminateurs comme les métaux lourds et les agents microbiologiques pathogènes. Mais dans de nombreux pays ACP qui ont un secteur industriel limité, les métaux lourds ne représentent pas un problème majeur. Le gros problème, c’est plutôt la contamination des cultures par les agents microbiologiques pathogènes notamment par des bactéries et des helminthes Escherichia coli, à l’origine de dysenteries et diarrhées. Peu d’agriculteurs portent des vêtements de protection lorsqu’ils irriguent, car ils n’ont pas été sensibilisés et ils n’ont pas d’argent pour les acheter. Au Ghana, il est courant de voir un agriculteur manger en arrosant, ce qui peut provoquer des maladies et des infections de la peau. Pour éviter ces problèmes, il faudrait former les agriculteurs.
Mon opinion — sans chercher à minimiser le phénomène — est que le problème sanitaire a été quelque peu exagéré. Les nombreuses recherches entreprises sur la question ont été centrées sur les conséquences négatives pour la santé plus que sur les conséquences positives pour la production alimentaire. Ce déséquilibre a conduit les décideurs politiques à promulguer des décrets contre l’utilisation des eaux usées. Cela a aussi faussé la perception des opinions publiques. Les gens prétendent que l’utilisation des eaux usées dans l’irrigation est responsable de la malaria, du choléra, de la lèpre et ainsi de suite. Mais ce n’est pas nécessairement le cas ; ces problèmes peuvent provenir d’autres activités agricoles ou d’intrants comme le fumier. La contamination des cultures peut tout aussi facilement se produire sur les marchés ou chez les consommateurs eux-mêmes. Nous devons approfondir la recherche pour identifier les effets réels de l’irrigation par les eaux usées et leur implication dans la santé humaine comme dans la sécurité alimentaire.
Cru ou cuit
Certaines pratiques de gestion permettent toutefois de réduire les effets négatifs. Plutôt que d’utiliser les méthodes d’irrigation par-dessus la plante, il vaut mieux utiliser l’arrosage direct des racines dans la mesure où les sols et les plantes fonctionnent comme des filtres biologiques vivants. De plus, la plupart des agents pathogènes vivent 15 à 30 jours et on peut arrêter l’irrigation bien avant la récolte, ce qui réduit une partie des risques. L’impact sanitaire de l’irrigation par eaux usées est plus important sur des produits végétaux que l’on consomme crus, comme les salades ou les tomates, que sur les produits qui sont consommés cuits. La plupart des agents pathogènes meurent à moins de 60°C.
En résumé, j’ai toutes les raisons de penser que l’irrigation par eaux usées continuera à se développer dans un futur proche. Avec des niveaux de traitement plus réduits que pour l’eau de consommation, il devrait être possible d’utiliser les eaux usées sans risques pour l’agriculture. Mais pour cela, il faut sensibiliser les décideurs, les donateurs et tous les acteurs pour qu’ils réalisent qu’il s’agit d’un besoin réel et que nous n’avons pas de solutions de rechange.
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Né au Kenya, Bernard Keraita est ingénieur hydraulicien. Il dirige le projet de recherche sur l’utilisation des eaux usées pour l’agriculture en Afrique de l’Ouest, au sein du Bureau ghanéen de l’International Water Management Institute (IWMI)
Les opinions exprimées dans ce Point de vue sont celles de l’auteur, et ne reflètent pas nécessairement les idées du CTA.
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